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donghu 东湖
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1 août 2010

Mais il y a la mer

Quelques semaines plus tôt, peut-être, l'homme eût dit à l'enfant : comment t'appelles-tu, quel âge, que font tes parents ? Les noms ne sont presque rien qu'on se répète pour se cacher la vérité des hommes, et les âges mentent. C'était un enfant qui n'existait pour personne, aussi proche et lointain que le vent, que la mer, imprévisible. D'ailleurs l'homme n'eût rien dit, car il n'avait vu l'enfant que le jour où, ayant revêtu de vieux vêtements de pêcheur, il avait cessé de voir le monde à travers les vitres d'une fenêtre, s'était avancé sur la terrasse, puis assis sur la seconde marche de l'escalier de pierre. A moins que l'enfant ne fût né de son âme.

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L'enfant survenait, s'arrêtait une seconde, regardait la maison, l'homme.

- Est-ce que c'est vivant ? pensait-il.

L'homme était comme un rocher, une statue de pierre grise. Etre indifférent, pensait l'homme, le laisser à lui-même. La bonté n'est souvent qu'un bâillement d'ennui.

-Est-ce que c'est vivant ?

 

C'était vivant. En ce temps-là déjà, le yeux de l'homme regardaient le monde avec amitié, le vieux cœur s'emballait dans le corps imperturbable, les mouettes volaient dans son regard, les voiliers glorieux de la haute mer naviguaient dans son sang. L'enfant ne le pouvait savoir. Qui aime la nature, ses spectacles : il est exilé déjà, étranger ; à l'instant qu'il s'exalte, il est dehors, il prend congé. L'enfant était dedans, merveilleusement indifférent au monde. L'homme n'en savait rien non plus sans doute, ou est-ce seulement plus tard qu'il tomba dans l'unité qui n'est point permise ?

Jean Sulivan - Mais il y a la mer - NRF, Gallimard

 

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